Mon expérience de "Bâtisseur" au château de Guédelon


Vue depuis le potager médiéval



   Unique dans son genre, ce chantier d'un château du 1er tiers du XIIIe siècle de style philippien impressionne par le soucis du détail et par son ampleur. 

Le château de Guédelon n'a jamais existé, ni son seigneur. Mais l'invention est ici un prétexte à la reconstitution de ce que pouvait être un château fort de ce siècle, en terme de construction et d'organisation du chantier.  

Car le site est devenu un terrain d'expérimentation et de recherche scientifique. Tellement que Guédelon est maintenant une référence sur les thèmes des châteaux XIIIe et en reconstitution archéologique.
D'ailleurs, tous les éléments de Guédelon proviennent de références archéologiques et architecturales françaises du XIIIe.
Si les premiers temps, les scientifiques conseillent et orientent les travaux, pour correspondre au plus près aux techniques et au style architectural du XIIIe siècle. Désormais, Guédelon permet aussi de faire des découvertes ou de vérifier des théories.
Il y a l'exemple du moulin hydraulique à farine, qui fit comprendre que les dents de la lanterne ne s'usent pas avec les années, mais que ces pièces de bois prennent leur forme définitive au bout d'une quinzaine de jours pour ensuite se figer dans leur état.



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Historique


   Ce projet est né en 1996 et se concrétise un an plus tard, à l'initiative de Michel Guyot, propriétaire et conservateur du château de Saint-Fargeau.

Si au début Guédelon était une petite association avec peu de crédibilité, elle est devenue en quelques années une entreprise avec aujourd'hui 67 professionnels de la construction, recouvrant tous les corps de métiers nécessaires (charpente, corde, tuilerie, etc.).

Dès le début, son objectif était de créer un lieu touristique tourné vers le Moyen Âge, créateur d'emplois dans la région, mais surtout d'offrir un "champ d'expérimentation scientifique sur l'histoire du bâti médiéval"(1). Tout est réalisé dans le respect des techniques du XIIIe siècle. L'anachronisme est proscrit, même à propos de la tenue des salariés.


  • De façon concise, voici les principales étapes de construction au fil des ans ↴
-1996 : Le chantier a débuté par le débroussaillage de la forêt de Guédelon, qui donnera tout simplement le nom au château. La carrière de grès ferrugineux commence à être occupée (située à quelques mètres du château). Les alentours sont dégagés pour créer le village des essarteurs.

Les premières pierres du château en 1997
Source : Guédelon, ils bâtissent un château fort, le chantier de saison en saison, 2016.  p. 4.


-Le 20 juin 1997, la première pierre est posée (de façon officielle). Mais ce n'est qu'en 1998 que le chantier est ouvert au public.

Jour de l'inauguration du château
Source : Guédelon, ils bâtissent un château fort, le chantier de saison en saison, 2016. p. 6.

-En 1998, toute la base du château est faite, s'élevant à 1 mètre de haut.
-2001 a été consacrée en particulier à la gestion de l'eau, denrée précieuse qu'il est important de savoir maîtriser et stocker (systèmes de canalisation, citernes).
Et tandis qu'une grande partie de la courtine Est et des tours s'élevaient à 3 mètres de haut, le pont dormant commençait aussi à prendre forme avec un platelage de 13,2 mètres de long.
-En 2002, réalisation de la première croisée d'ogives du château, dans la tour de la chapelle.



-2003 concerne l'élévation de la tour maîtresse.
-En 2004, le logis seigneurial prend forme et la tour maîtresse voit sa chambre de tir terminée au rez-de-chaussée.
-2005, la maçonnerie s'élève, tandis que le sol du second niveau du logis est en équarrissage.
-L'année 2006, fut surtout consacrée à la partie Nord (courtine et logis). L'escalier extérieur du logis est fini. L'appentis situé entre le logis et la tour de la chapelle est couvert de tavaillons. Les poutres du sol de la grande salle sont installées (7 m de long).
-En 2007, le travail de maçonnerie est important sur le logis. Le calcaire a été plus utilisé, pour mettre en valeur cette pièce de réception et deux des cinq baies géminées sont posées. Le cellier et la cuisine deviennent accessibles aux visiteurs (soit tout le rez-de-chaussée du logis). Un four à tuiles a été pensé pour correspondre aux exigences du XIIIe, des cuissons réussies ont permises de valider la conception.
-Pour l'année 2008, le chantier était tourné vers le logis et sa toiture, ainsi que continuer l'élévation de la tour maîtresse. La chambre seigneuriale du second niveau de la tour maîtresse est dallée et la fenêtre à coussièges installée.
-2009 concernait principalement la charpente du logis et l'installation des trois cheminées du logis.
-2010 : fin de l'installation de la charpente du logis. Le second niveau de la tour maîtresse, soit une des deux chambres seigneuriales, est bien avancé. Son troisième niveau est amorcé. La porte d'entrée en ferronnerie de la tour maîtresse (donnant sur la cour) est installée.
-Pour 2011, c'est la fin de la mise en place de la plus grande voûte du château, au second niveau de la tour maîtresse. La courtine Est et sa tour d'angle sont augmentées d'environ 1,5 mètre de hauteur. Le toit du logis est couvert.
-En 2012, c'est au tour du troisième niveau de la tour maîtresse d'être achevé (soit la seconde chambre seigneuriale). Fin de la salle de tir dotée d'une coupole, au rez-de-chaussée de la tour Sud-Est. Cette année marque aussi le début d'une réflexion sur les peintures murales, avec en parallèle des recherches iconographiques et des essais.
-2013, les essais de peintures murales dans la chambre d'invité deviennent concrets. De plus, la cage d'escalier de la tour maîtresse est badigeonnée de chaux, comme la cuisine et le cellier. Chose importante cette année, la construction du moulin hydraulique à farine (fini en 2014).
-2014 : début de la chapelle seigneuriale, située au second niveau de la tour du même nom.
-2015 : les maçons terminent la chapelle. Des décorations murales sont prévues.
-2016 : reprise de la tour d'angle Ouest avec la finition du premier niveau et début du pigeonnier au second.


Au moment de mon séjour, en juin 2017 donc, la charpente de la tour de la chapelle était taillée et le châtelet d'entrée était en cour. Le pigeonnier sera également fini cette saison. Et cette année ou en 2018, le hourd de la tour maîtresse sera monté. 

Selon les estimations du maître d'oeuvre, le château devrait être terminé d'ici 8 ans. Et voici à quoi il va ressembler. ↴

Plan de la façade Sud
Source : http://www.guedelon.fr/fr/les-plans-de-guedelon_29.html


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Le château


   Guédelon s'inscrit fictivement dans la vraie Histoire. Ainsi, le château serait la propriété d'un modeste seigneur, sous l'autorité du baron Jean de Toucy (ayant vécu vers 1207-1250), qui a contrôlé cette région de la Puisaye.

Du fait de la position du seigneur de Guédelon, la taille du château sera à la hauteur de ses supposés moyens, c'est-à-dire modestes (comparé à d'autres châteaux du XIIe et XIIIe siècle).
À noter que le plan a été élaboré par un architecte en chef des monuments historiques (ACMH).


Plans avec les cotations du château de Guédelon
Source : https://uk.pinterest.com/pin/553098397964009680/

Pour les cotations non-visibles sur le plan, je peux ajouter qu'avec les 12 mètres de diamètre pour la tour maîtrise, c'est la plus large et la plus haute également avec 28,50 m. Les remparts font 3 mètres de large, se sont les murs les plus épais de tout le bâtiment. Enfin, le logis seigneurial s'étend sur 24 x 7 mètres.


Le château respecte le style Philippien, qui était à son apogée au XIIIe siècle dans le domaine des château forts. En effet, le projet commence fictivement en 1228, sous le règne de Louis IX, futur Saint-Louis.


Vue aérienne du château de Guédelon en juillet 2016
Crédit : Denis Gliksman


  • Le style philippien fait référence au roi Philippe Auguste, roi de France de 1180-1223.

Ce style fait référence à une architecture militaire efficace, qui restera un standard dans le royaume pendant les XIIe et XIIIe siècles (2).

Cette architecture se reconnaît par un plan au sol irrégulier, des tours à bases circulaires reliées par des courtines. Les tours ont une fonction défensive avec leurs archères, de même pour le châtelet d'entrée. Une des tours a toujours des dimensions plus importantes que les autres, car symbole du pouvoir royal.

Exemples toujours existants ➔ les fortifications d'Aigues-Mortes et sa tour maîtresse de Constance. La ville haute de Carcassonne (à noté que son état actuel est le résultat de la "restauration" par Viollet-le-Duc).

Mais se sont des châteaux plus proches géographiquement qui ont inspirés les plans de Guédelon, comme le domaine de Ratilly ou Druyes-les-Belles-Fontaines.


Château de Ratilly (Yonne)
Source : https://burgondiart.wordpress.com/2015/06/08/le-chateau-de-guedelon-ou-lart-de-la-construction-medievale/


  • Depuis l'extérieur ↴

Angle Sud-Ouest

Façade Sud
Voici le pont dormant, toujours inaccessible en attendant la construction du châtelet d'entrée.

Façade Est
Le pont d'accès à la cour est temporaire, il sera par la suite remplacé par le pont dormant une fois le châtelet d'entrée terminé.

La façade Nord et sa poterne
La façade nord comporte une poterne, elle permettait de fuir en cas d'attaque par une petite porte discrète.

Façade Ouest



  • Le château depuis la cour ↴

La tour maîtresse

Le logis seigneurial
Les fenêtres géminées sont inspirées de Crépy-en-Valois. Se sont elles, qui depuis l'extérieur, donnent l'aspect noble au logis seigneurial.

La tour de la chapelle et l’appentis en tavaillons de chêne 
La galerie en bois permet d'éviter aux soldats, circulant sur les courtines, de passer par la chapelle.

Construction du châtelet d'entrée
Cette photo donne à voir deux des cages à écureuils, ici à simple et double tambours. La seconde permet d'installer deux marcheurs. La force doublée, elle hisse plus de plus poids et bien plus vite.


  • L'intérieur ↴
-Au premier niveau du logis se trouve le cellier et la cuisine qui sert aussi de boulangerie. C'est ici que la farine, obtenue grâce au moulin de Guédelon, est transformée en pain.

Le cellier

La cuisine
La cheminée de la cuisine est inspirée de celles du château de Landsberg (Bas-Rhin).


-Au second niveau du logis : la grande salle de réception et la chambre des invités.


La grande salle
Le sol du logis a fait l'objet de réflexion. Une fois le plancher temporaire enlevé, un essai sur une portion réduite du sol à été tenté. Des lattis sont posés perpendiculairement aux solives dans le but de créer un espace plat. Puis un mélange de terre et de paille est posé sur une vingtaine de centimètres d'épaisseur. Enfin des carreaux de pavement viennent se poser dessus.


Plafond de la grande salle
La charpente à chevrons formant fermes de la grande salle est une inspiration du Parloir Bourgeois de Chartres. Techniquement, les fermes sont recouvertes d'environ 900 lattes en chêne clouées, supportant les 6000 tuiles en argile.

La chambre d'invité

-La tour de la chapelle, où se trouve sans surprise la chapelle seigneuriale au second niveau. Tandis qu'au sous-sol se présente une réserve d'eau et au rez-de-chaussée une salle de tir.


Voûte d'ogives en calcaire de la chapelle
Culots inspirés du château de Dourdan dans le 91. Tandis que la clé de voûte, une rosace en feuilles d'acanthe, à son modèle au collège  parisien de Cluny.

Lavabo liturgique de la chapelle
La chapelle seigneuriale possède trois fenêtres en lancette et une à remplage.


-La tour maîtresse
 Les pièces sont les suivantes : au sous-sol, une cave avec une citerne d'eau, au rez-de-chaussée une salle de tir, au second et troisième niveau des chambres seigneuriales. Le quatrième sera réservé au hourd.

Salle de tir au rez-de-chaussé de la tour maîtresse, en voûte d'ogives

Détail de la porte de la tour maîtresse donnant sur la cour 

Baie à coussièges de la chambre seigneuriale de la tour maîtresse


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Le village des Essarteurs



Le mot "essarteur" est relatif aux personnes en charges du défrichement un terrain boisé.

Tous les corps de métiers nécessaires au chantier possèdent leurs propres ateliers dans ce village, situés juste à côté du château. ↴


-Le moulin hydraulique à farine. Sa construction se fit en partenariat avec l'INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives). Il s'inspire de fouilles de moulins du XIe et XIIe siècle retrouvés sur la commune de Thervay (Jura).
La farine obtenue sert à la fabrication du pain du Guédelon, façonné et cuit dans la cuisine du château.

À gauche : Le moulin hydraulique alimenté en eau grâce au bief / À droite: le trémie et la paire de meules

Le système d'engrenage
                                       
-Le vannier fut très utile dès son arrivée en 2000. 
Il permit de porter le mortier de façon plus légère qu’auparavant, grâce à ses mannes d'osier ou du jeune noisetier.

-L'atelier des tavaillons, c'est-à-dire des tuiles en bois de chêne, est apparut en 2003 pour couvrir les toits du village et l'appentis du château.

Découpe des tavaillons avec un maillet et un départoir
Source : https://fr.pinterest.com/pin/291045194654696011/ 

-Le tuilier façonne des tuiles en argile. L'argile est prélevée directement in situ. Elle est ensuite débarrassée de ses impuretés à la main, bien malaxée pour créer des pains d'argile homogènes.
Les tuiles sont formées grâce à des cadres en bois. Une fois démoulées, elle doivent sécher pendant 5 à 6 jours, voir plus selon l'hydrométrie. Enfin, elles sont cuites à 1100° C pendant 12 heures.

-L'atelier du Petit teint, nouveauté en 2003, crée ses propres teintures à base de pigments naturels. Son but est surtout de colorer des matières animales (en 2017 ils ont toujours du mal concernant les matières végétale, les couleurs ne tenant pas). L'atelier a aussi fait les peintures murales de la chambre d'invité, en essayant de recréer des motifs existants.

-L'atelier de chaux pour la fabrication des mortiers et des badigeons. Ici aussi l'INRAP a aidé pour construire un four à partir de sources médiévales.

À gauche : le four à chaux, à droite : stockage de la chaux 

-La carrière de grès ferrugineux est située à quelques mètres de la façade Nord du château. Les pierres sont extraites manuellement à la masse, aidé par des coins en métal placés judicieusement.

Les carriers au travail

-Les tailleurs de pierre travaillent sur le grès extrait de la carrière de Guédelon et sur du calcaire importé à 25 km du site.




-La corderie : C'est ici que sont tressé les cordes, très utiles pour lever les pierres et les protéger.

-L'atelier de charpente et les bûcherons

-Les maçons

-Le monnayeur : À partir d'un alliage argent-cuivre il fabrique des deniers.

-La forge : Ici sont fabriqués tout les éléments en métaux, cela va du clou à des choses artistique comme pour le décor de la porte extérieure de la tour maîtresse. C'est aussi ici que les outils sont fabriqués et réparés si besoin.



En cette année 2017, le charron va bientôt rejoindre l’équipe.


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Informations pratiques


-Adresse ➔ Guédelon, Route départementale 955, 89520 Treigny

-Comment devenir un "bâtisseur"? ➔ http://www.guedelon.fr/fr/comment-participer-aux-travaux_40.html

Les séjours sont de 4 ou 7 jours. Vous pouvez maximum faire 2 séjours par an (à cause du trop grand nombre de demandes).
Il faut payer la somme de 6 euros par journée de participation. Et facultatif, également 6 euros par repas du midi (vous pouvez amener votre propre repas).

Pour vous préparez au séjour, tout est bien expliqué dans la documentation qui vous sera envoyé, notamment sur la confection de la biaude. C'est une sorte de sur-chemise à fabriquer soi-même.

Au niveau de logement, il vous faudra trouver un camping ou tout autre logement. Personnellement le camping de Saint-Fargeau était suffisant (9,90 euros la nuit). 


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Mon avis sur Guédelon en tant que Bâtisseur 

J'ai eu la chance de faire un séjour de 4 jours en tant que bâtisseur. Chaque jour on peut, si on veut, changer d'atelier. Pour titre d'exemple, j'ai fait des tuiles en argiles et en bois, sculpté des maillets en bois et taillé la face d'une pierre calcaire. 

Chaque fois les professionnels vous explique votre tâche et s'il a envie, il vous racontera le chantier, son métier (ex : comment ils assemblent une charpente, la cuisson des tuiles, etc.).

Toute l'équipe est très accueillante et passionnée. Venir à Guédelon est vraiment à faire!



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(1) = Citation provenant du livre Guédelon, ils bâtissent un château fort, le chantier de saison en saison, 2016, p. 2.
(2) = A. Erlande-Brandenburg, A-B. Mérel-Brandenburg, Du Moyen Age à la Renaissance, Histoire de l'architecture française, éd. du Patrimoine, éd. Mengès, 2003, p. 314-324.

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